La mémoire, un levier pour renforcer la solidarité active

Brigade suisse au Nicaragua : “30 ans après, Hommage et solidarité”

La mémoire, un levier pour renforcer la solidarité active

Sergio Ferrari*

 

Février 1986: une mine antipersonnel posée par la “Contra”  tue le coopérant suisse Maurice Demierre et cinq paysannes à Somotillo, au nord-ouest du Nicaragua, à la frontière avec le Honduras. Cinq mois plus tard à Zompopera, au nord, département de Matagalpa, les internationalistes Yvan Leyvraz (suisse), Joël Fieux (français) et Berndt Koberstein (allemand) et deux camarades sandinistes William Blandon et Mario Acevedo tombent sous les balles de la “Contra”. 30 années après, du 19 juillet au 28 juillet 2016, une brigade d’une cinquantaine de personnes, militants de la solidarité, associatifs ou syndicaux arrive au Nicaragua sous le thème: ‘ 2016, 30 ans après, hommage et solidarité”

Après la victoire du Font Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) de juillet 1979 contre la dictature de la famille Somoza commence au Nicaragua un processus – qui durera 11 ans – de transformations révolutionnaires et de construction d’une démocratie participative d’un nouveau type. A partir de 1983, avec l’appui du gouvernement des USA commence alors une guerre d’agression qui fera près de 40’000 victimes et 17 milliards de dollars de perte, l’équivalent de 40 années d’exportation selon le niveau de valeur de 1980.
Le modèle sandiniste basé sur 4 piliers – économie mixte, pluralisme politique, participation populaire et non alignement international –  entraînera une chaîne de sympathie dans le monde entier. La solidarité internationale a alors assumé la défense du sandinisme et des milliers de coopérants internationalistes et brigadistes s’intégreront à la reconstruction du Nicaragua.

 

La solidarité concrète

Le Gouvernement  Révolutionnaire a appelé les syndicats au niveau international à participer à l’effort de développement du pays, se souvient Philippe Sauvin, secrétaire de l’Autre syndicat , co-responsable des brigades ouvrières suisses entre 1984 et 1990 et un des promoteurs de la délégation qui visitera le Nicaragua en juillet prochain.

Les besoins étaient énormes: dans les infrastructures, dans les secteurs de la construction et des transports, et au niveau social. Un appui international actif était nécessaire pour développer le pays et vaincre la pauvreté endémique et les traces de la violence générée durant 40 ans par la dictature de Somoza, puis par la guerre d’agression, spécialement  dans les zones rurales, relate Philippe Sauvin.

“ Les syndicats et le mouvement associatif suisse – à l’image de ce qui s’est passé dans tant de pays européens ou du continent américain – répondirent présents et dès 1983 des brigades de solidarité, de santé et des brigades ouvrières rejoignent le Nicaragua pour participer à la construction de ponts, « asentamientos » (villages coopératifs ruraux pour la population de paysans sans terres), écoles, centres de santé, réseaux d’eau potable, récolte du café et tant d’autres activités sociales et éducatives » .

 

La nostalgie, levier d’une solidarité à renouveler

Il y a 30 ans, « nous avons été des milliers à rejoindre la Nicaragua en révolution. Yvan et Joël – comme Maurice et tant d’autres internationalistes –  avaient choisi de rester au Nicaragua malgré la guerre d’agression par cohérence avec leur engagement et par solidarité  avec le peuple sandiniste qui les avait intégrés  et considérés comme  leurs » raconte Gerald Fioretta, un des responsable de l’Association de solidarité Nicaragua – El Salvador de Genève, co-organisateur de la brigade 2016. C’est que nous vivions  un temps historique extraordinaire.  « Cette camaraderie joyeuse et sérieuse à la fois, unie  et généreuse jusqu’au bout,  reste la plus belle période de notre vie ».

En 30 ans,  le Nicaragua a changé, nous avons tous changé, mais le souffle de transformation profonde des années 80 est toujours là.  Lorsque nous pensons à Yvan et Joël, et à tant d’autres camarades internationalistes et nicas, nous sommes remplis de nostalgie. « Nostalgie qui nait de notre jeunesse et de la chance que nous avons eue de vivre l’internationalisme à fonds grâce à l’ouverture et à la générosité de la révolution sandiniste. »

La  rencontre avec les paysans, les techniciens  et les militants sandinistes « avec qui nous avons vécu  cette période nous permettra d’évoquer  les souvenirs,  de comprendre la situation actuelle pour ainsi renforcer notre solidarité avec plus d’intelligence et de « corazón ».  Quel meilleur hommage offrir à  nos frères assassinés il y a 30 ans que d’organiser une brigade composée en majorité d’internationalistes des années 80 », souligne le sociologue et militant associatif.

 

Ce qui reste …et ce qui manque

Le temps ne couvre que partiellement les blessures. La disparition crée un espace vide: ceux qui restent doivent faire face à l’histoire, à la mémoire et à la conscience.  Ils doivent résister, pardonner, renaître, choisir la dignité d’être vivants et de faire partie de l’humanité” réfléchit Chantal Bianchi, la compagne de vie de Maurice Demierre. Chantal Bianchi qui a fait du théâtre sa profession,  est la présidente  de l’Association de Solidarité qui a pris le nom de l’internationaliste suisse assassiné en février 1986.

30 ans après, la nouvelle génération des jeunes de 25-30 ans s’est engagée dans des actions solidaires. “Ils ont trouvé la possibilité d’agir concrètement pour construire des modèles de sociétés plurielles, non autoritaires, écologiques et respectueuses des minorités” souligne Chantal Bianchi. Maurice venant d’une famille modeste “avait les pieds sur terre et le cœur dans les étoiles, engagé avec les paysans de son canton, Fribourg”. Il militait, comme les autres internationalistes assassinés,  “pour un changement social et  politique  en faveur des hommes et des femme les plus défavorisés”.

La figure de Maurice donne force et perspectives à cette jeunesse  – liée à notre association –  qui cherche un sens à la vie.  “C’est un but noble à partager avec  allégresse, générosité et modestie”.

Un sentiment que partage Franco Cavalli, médecin oncologue suisse, ex député national, militant historique de la solidarité et fondateur de AMCA ( Associazione per l’aiuto medico al Centro America) . L’idée de la Brigade 2016 est une proposition merveilleuse. Non seulement pour se souvenir de nos camarades assassinés, mais aussi pour rendre hommage à l’énorme sacrifice qu’a supporté le peuple nicaraguayen en lutte contre l’agression contre-révolutionnaire.

“La solidarité internationale est aujourd’hui plus nécessaire que jamais” dans ce monde globalisé et dans un continent, comme le continent sud-américain, qui à nouveau doit affronter une intense offensive réactionnaire. “C’est pour cela que c’est fondamental que nous montrions au peuple latino-américain aux mouvements sociaux que nous sommes avec eux, non seulement avec nos paroles mais aussi avec des projets et une présence. Et que nous faisons et que nous ferons tout notre possible pour les soutenir dans ce combat difficile pour la justice et le progrès” conclut-il.

 

*Sergio Ferrari, collaboration E-CHANGER, ONG de coopération solidaire active au Nicaragua depuis 1981

Traduction Gerald Fioretta